"Sexe, mensonges & Hollywood" et l'ascension de Miramax

Publié le par joe

Matt Damon : « Avant [le tournage de Will Hunting], tout avait été compliqué, notamment un bras de fer interminable entre Gus [Van Sant] et le studio. Gus voulait le final cut, que Miramax lui refusait. Le deal a été rompu pendant un an, jusqu’au jour où j’ai été choisi pour tenir le premier rôle de L’Idéaliste de Francis Ford Coppola. J’ai appelé Harvey Weinstein, le boss de Miramax, pour lui annoncer : « J’ai le rôle Harvey. ­– Mais ce n’est pas un scénar tiré d’un livre de John Grisham, ça ? – Si. Ce truc-là va rapporter 100 millions de dollars, je te rappelle ! » Weinstein a contacté Gus le jour même pour lui donner le feu vert.»

Interview de Matt Damon dans Les Inrockuptibles n°615, le 11 septembre, à l’occasion de la sortie de La Vengeance dans la peau.
 
Ce dont témoigne l'acteur révèle bien l’esprit sans scrupules des frères Bob et Harvey Weinstein, fondateurs de la société de distribution Miramax. Ce que montre aussi un livre passionnant Sexe, mensonges & Hollywood (éd. Le Cherche Midi, 2006) sur le cinéma américain indépendant des années 1990-début 2000. Ne pas se fier au titre français putassier (une traduction marketing du titre original Down and Dirty Pictures), c’est vraiment un bon bouquin. En fait, l’auteur, le journaliste Peter Biskind, place l’origine de renouveau du cinéma indépendant en 1989, avec Sexe, mensonges et vidéo, de Steven Stoderbergh. Pour raconter cette période, il fait le parallèle entre deux sagas : celle du festival de Sundance, créé par Robert Redford, et celle de Miramax.
 
Dans son livre, Peter Biskind consacre une place importante à l’anecdote, parfois si grosse qu’on se demande si c’est vraiment la vérité qui est en train d’éclater. Il montre l’envers du décor : les marchandages acharnés pour le budget et les batailles pour le final cut. Ce journaliste s’est appuyé sur une de très nombreux entretiens en prenant un malin plaisir à relater les versions divergentes. Et c’écrit avec assez de piquant pour qu’on dévore les 600 pages : « Nombre des films qu’il [Robert Redford] a réalisés sont impeccables du point de vue esthétique, mais sans âme, aussi vivants que des fossiles. » Et toc.
 
Faire la liste des films produits et distribués par Miramax serait fastidieux : The Crying Game, La Leçon de piano, il y en a trop… Je vous renvoie à l'article sur le Wikipédia anglophone.
 
Les passages sur Sundance sont moins intéressants que ceux sur Miramax, nommée ainsi en hommage à Miriam et Max, parents des frères Weinstein. C’est que ces deux personnages hauts en couleurs sont redoutables, particulièrement le frère Harvey, au tempérament de feu. Miramax se taille une mauvaise réputation en n’hésitant pas à couper les films étrangers dont elle achète les droits, Cinema Paradiso, Pelle le conquérant, La Petite Voleuse, Adieu ma concubine en font notamment les frais. Ce qui a valu à l’aîné des Weinstein, le surnom de « Harvey Scissorhands ». Pour info, Harvey souhaitait supprimer la scène de l’oreille dans Reservoir Dogs, de Quentin Tarantino, devenu par la suite leur jeune poulain.
 
Sexe, mensonges & Hollywood contient de savoureuses saynètes, sur les relations entre les frères Weinstein et les réalisateurs : Ainsi à propos de Scream, produit par leur filiale Dimension, Bob Weistein voulait que Wes Craven tourne chaque scène avec quatre masques différents (!!!) jusqu’à ce que le producteur décide lequel il préfère. Mais ce ne fut pas le seul tournage difficile : ceux de Mimic (Guillermo del Toro), Chicago (Rob Marshall), Frida… furent aussi pénibles. Studio 54 ? Les Weinstein ont expurgé le film de toute référence à la bisexualité de Shane, le héros. Il faut préciser que Miramax avait été racheté en 1993 par Disney. Mais les frères Weinstein avaient réussi à négocier un contrat avantageux qui leur donnait les coudées franches au sein de la compagnie bien pensante.
 
Et ce dont je me rappelle pour l’avoir lu dans les médias à l’époque : les engueulades avec Martin Scorcese pendant la postproduction de Gangs of New York. En raison des différends, la sortie initialement prévue le 21 décembre 2001 sera finalement repoussée un an plus tard, le 25 décembre 2002.
 
Il y a aussi des coups bas : Todd Haynes, réalisateur de Velvet Goldmine, se plaignait de ne pas avoir été soutenu par Miramax à la sortie de son film. Il est parti ailleurs pour faire son mélo Loin du Paradis :  « D’après Tod Haynes, Weinstein menaça de dépenser 10 millions pour empêcher Julianne Moore, à l’affiche de Terre Neuve [distribué par Miramax] à l’époque, d’être nominée aux Oscars pour son rôle dans Loin du Paradis. »
 
Ce livre raconte l’évolution de l’industrie du cinéma indépendant : « Au bon vieux temps, avant que Miramax ne fasse de la surenchère, la distinction entre « achats de droits » et « production » était claire ; mais comme les compagnies investissaient à un stade de plus en plus avancé du processus, cette distinction avait tendance à devenir plus floue. L’achat de droits céda la place au préachat, puis à la production. » 

Une évolution qui s’accompagne de changements dans les thèmes du cinéma indépendant. Elle a été amorcée par Tarantino (le chouchou des Weinstein je le rappelle) quand il déboule au Festival de Sundance en 1992 avec Reservoir Dogs. « On avait rarement la chance de voir des types brandir des flingues à Sundance : c’était un plaisir coupable. Les programmateurs n’en finissaient pas de se demander si un film pouvait à la fois porter l’étiquette de film de genre et de film d’auteur », explique Peter Biskind, qui conclut : « Les Weinstein ont non seulement transformé la distribution, mais sont également à l’origine d’un nouveau genre de films, hybrides à mi-chemin du film indépendant et grand public. »
 
Et pour finir, cette belle métaphore de la réalisatrice indy, Allison Anders. Pour elle, l’intrigue ressemble à « une corde à linge » : « Moi, je m’intéresse à ce qui est étendu, alors que dans l’ensemble, Hollywood ne s’intéresse qu’à la corde. »
 
Joe
 
Le 30 mars 2005, les frères Weinstein abandonnent Miramax à Disney, en emportant avec eux leur filiale Dimension films.

Publié dans C'est tout lu !

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G
Bah... on va pas s'embêter pour ça... je le trouverai bien lui aussi à la bibliothèque... et je n'ai de toute façon pas beaucoup de temps pour lire ces temps-ci... et plein de bouquins en retard !
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G
Je l'avais emprunté à la bibliothèque... tant pis pour l'échange ;-)
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J
Je peux toujours te le prêter.
G
J'avais beaucoup aimé son précédent bouquin, "Le Nouvel Hollywood" sur le cinéma américain des années 70... beaucoup d'anecdotes assez jubiatoires, et un regard très perspicace sur les coulisses et l'évolution du cinéma américain. D'après ce que tu en dis, celui-là a l'air d'être dans la même veine... faudra vraiment que je me le procure ! 
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J
Moi, c'est l'inverse. On fait un échange ?
T
J'avais adoré ce bouquin ! Edifiant à plus d'un titre.J'aime bien Matt Damon aussi, sinon :-) Bon, pas en tant qu'acteur cela dit (!) mais en tant que mec, producteur etc. Je trouve ses choix de carrière et ses prises de positions toujours très juste. Il joue un peu comme un premier de classe, mais il m'a l'air d'un type bien...
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J
Le cas Matt Damon... Comme quoi on peut être un acteur intéressant et avoir un charisme en berne.
D
Et pas un mot concernant Kevin Smith? Ca mérite le fouet un oubli pareil!Faire la liste des films produits et distribués par Miramax serait fastidieux : The Crying Game, La Leçon de piano, il y en a trop… Je vous renvoie à l'article sur le Wikipédia anglophone. D'ailleurs ce passage me fait marrer car dans Jay et Silent Bob contre-attaquent quand ils apprennent que Bluntman et Chronic vont être adapté au cinéma par Miramax, Jay:"quoi mais Miramax, je croyais qu'ils faisaient de bons films comme La leçon de piano ou The crying game!"Et leur pote qui répond:"Ouais mais après Elle est trop bien, ça s'est gâté."
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J
Le fouet? Ça chatouille, s'tout. C'est vrai que l'auteur du bouquin en parle beaucoup de Kevin Smith, une autre mascotte de Miramax, mais je suis complètement passé à côté de ses films...